Les Pamphlets de Bastiat (1801-1850) édités sous ce titre en 1850 et complétés par le célèbre Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas excèdent en réalité le genre pamphlétaire convenu. Ce sont autant de brefs mais denses essais à visée pédagogique conjuguant critique de la spoliation impliquée par les projets étatistes et socialistes au moment de la révolution de 1848, et esquisse d'une théorie libérale de la justice sociale attachée à promouvoir la liberté individuelle dans les champs les plus variés de la vie économique et parfois bien au-delà : la solidarité, la fonction de l'argent, l'exercice du droit de propriété, l'enseignement, l'intervention de l'État, l'impôt, les rapports entre le droit et la loi...
Déjà classiques outre-Atlantique, ces pamphlets incisifs et jubilatoires constituent un apport original à la théorie économique et posent les jalons d'une véritable théorie de la justice.
I. La Vitre cassée
Avez-vous jamais été témoin de la fureur du bon bourgeois Jacques Bonhomme, quand son fils terrible est parvenu à casser un carreau de vitre? Si vous avez assisté à ce spectacle, à coup sûr vous aurez aussi constaté que tous les assistants, fussent-ils trente, semblent s'être donné le mot pour offrir au propriétaire infortuné cette consolation uniforme: « À quelque chose malheur est bon. De tels accidents font aller l'industrie. Il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers, si l'on ne cassait jamais de vitres? »
Or, il y a dans cette formule de condoléance toute une théorie, qu'il est bon de surprendre flagrante delicto, dans ce cas très-simple, attendu que c'est exactement la même que celle qui, par malheur, régit la plupart de nos institutions économiques.
À supposer qu'il faille dépenser six francs pour réparer le dommage, si l'on veut dire que l'accident fait arriver six francs à l'industrie vitrière, qu'il encourage dans la mesure de six francs la susdite industrie, je l'accorde, je ne conteste en aucune façon, on raisonne juste. Le vitrier va venir, il fera besogne, touchera six francs, se frottera les mains et bénira de son cœur l'enfant terrible. C'est ce qu'on voit.
Mais si, par voie de déduction, on arrive à conclure, comme on le fait trop souvent, qu'il est bon qu'on casse les vitres, que cela fait circuler l'argent, qu'il en résulte un encouragement pour l'industrie en général, je suis obligé de m'écrier: halte-là! Votre théorie s'arrête à ce qu'on voit, elle ne tient pas compte de ce qu'on ne voit pas.
On ne voit pas que, puisque notre bourgeois a dépensé six francs à une chose, il ne pourra plus les dépenser à une autre. On ne voit pas que s'il n'eût pas eu de vitre à remplacer, il eût remplacé, par exemple, ses souliers éculés ou mis un livre de plus dans sa bibliothèque. Bref, il aurait fait de ses six francs un emploi quelconque qu'il ne fera pas.
Faisons donc le compte de l'industrie en général.
La vitre étant cassée, l'industrie vitrière est encouragée dans la mesure de six francs; c'est ce qu'on voit.
Frédéric Bastiat
Frédéric Bastiat est né à Bayonne en 1801, et mort à Rome en 1850. Mais sa famille était originaire de Mugron, dans les Landes, où il vécut la plus grande partie de sa vie, et où se trouve aujourd'hui sa statue.
Économiste d'une grande clarté et d'un humour dévastateur, il a renouvelé l'Économie Politique en la traitant du point de vue du peuple et du consommateur. Il s'est fait l'avocat de la liberté des échanges et des choix économiques par les individus, sans contraintes ni subventions. Ses œuvres n'ont pas pris une ride et ses prévisions sur l'évolution des sociétés se sont révélées d'une extraordinaire lucidité.
Philosophe, il a été l'apôtre de la liberté individuelle (ce qui implique le respect de la liberté des autres), et de son corollaire incontournable, la responsabilité.
Humaniste, il a milité contre l'esclavage, la peine de mort, et les lois interdisant les coalitions ouvrières. Il a déploré que la Rome antique, dont la richesse provenait des guerres et de l'esclavage des vaincus, soit donnée en modèle dans l'enseignement secondaire.
Juge de paix, il a été un modèle d'efficacité et d'équité. Il mettait souvent les plaideurs d'accord en une seule séance ! Il lui arrivait même d'être sollicité comme arbitre par des plaideurs extérieurs à son aire de juridiction.
Homme politique d'une grande clairvoyance, il a préconisé le désengagement de l'État des activités pour lesquelles ce dernier ne peut pas être efficace. Il s'est battu pour la diminution des dépenses publiques engagées pour satisfaire des intérêts particuliers. Il a fait le procès des expéditions coloniales. Il a milité pour la séparation des pouvoirs, et notamment pour la séparation des fonctions de ministre et de député, un siècle avant qu'elle ne soit inscrite dans notre constitution. Il a souhaité la participation des femmes à la vie politique.
Si Saint Vincent de Paul est le Landais le plus célèbre en France, Frédéric Bastiat, cet autre Landais, jouit depuis 150 ans d'une réputation encore plus grande dans de très nombreux pays: aux États-Unis, son pamphlet "La Loi", qui a été tiré à près d'un million d'exemplaires, continue à se vendre au rythme d'une quinzaine de milliers d'exemplaires par an. Chaque année, un peu partout dans le monde, il paraît un ou plusieurs livres sur lui, ou une traduction d'une de ses œuvres. Ses œuvres les plus célèbres sont "La Loi", "L'État", "Sophismes Économiques", "Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas", "Harmonies Économiques".
Личен сайт: http://bastiat.net/fr/